Âmes sœurs
PLACEBO
« Soulmates Never Die:
Live in Paris 2003 »
Bercy, 18 octobre 2003. Les artères de la capitale s’encombrent d’addicts qui tutoient la musique de Brian, Stefan et Steve depuis sept ans. Âge de raison pour un groupe aux spectacles stupéfiants, déversant les flux (non sans gains) de mélodies tantôt écorchées, très tard mises à nu dans l’intimité d’une salle de concert. « Sex, drugs & rock’n’roll » : la pensée (dés)incarnée hante encore Sleeping with Ghosts, dernier effet de Placebo – récemment augmenté, en substance, d’une dizaine de reprises. Ceux qui n’ont pas de veine restent aux portes d’une hallucination collective : Soulmates Never Die: Live in Paris 2003. Qu’ils se rassurent, la dose de sons et d’images sera bientôt en vente libre…
Discotexte : Le single Protège-moi, version française de Protect Me From What I Want, est sur le point de sortir pour promouvoir l’édition spéciale de votre dernier album, Sleeping with Ghosts (Elevator Music / EMI, 2003). Pourquoi avoir fait appel à des personnalités « maudites », controversées : Virginie Despentes pour l’adaptation de ses paroles et Gaspar Noé pour la réalisation de son clip ?
Brian Molko : On n’essaie pas de travailler avec des personnes que les gens apprécient, mais plutôt avec celles qui en valent la peine, qui ont tout à prouver. On n’est dans aucun système. J’ai rencontré Virginie il y a quelques années, et c’est devenue une amie. C’est toujours plus agréable de travailler avec des gens qu’on connaît. Et puis j’ai pensé que ce serait un challenge pour elle, que ça lui apporterait une certaine notoriété.
Et la réputation sulfureuse de Gaspar Noé précède-t-elle la teneur du clip ? Redoutez-vous un possible parfum de scandale ?
Brian Molko : On n’a pas encore vu la vidéo, donc on ne peut pas dire à quoi ça ressemble – en fait, on attend son coup de fil d’un instant à l’autre… Mais encore une fois, on cherche à ne pas se retrouver pris dans le piège commercial de ce que sont les clips, en général – tu ne peux pas montrer des nichons, ni des gens en train de fumer, faut pas montrer ci ni montrer ça… Malheureusement, en tant que groupe, c’est sûr, on doit rentrer dans un cadre commercial… Mais dès qu’une opportunité se présente à nous pour s’en échapper, on est preneurs ! Alors, c’est très intéressant pour nous de travailler avec Gaspar, qui est allé à l’encontre des médias ! J’ai vu Irréversible (Studio Canal, 2002) et Seul contre tous (Les Cinémas de la Zone, 1998)… Tu bosses pas avec un mec comme ça pour te retrouver piégé, mais plutôt pour te lancer un défi, sortir de l’ordinaire. C’est ce qui nous a excités.
[Ci-après le clip officiel de Protège-moi, extrait de Soulmates Never Die: Live in Paris 2003 (Elevator Music / Virgin, 2004) réalisé par Russell Thomas. Le clip tourné par Gaspar Noé pour Placebo ayant finalement été censuré, interdit de diffusion à la télévision comme sur les sites de partage de vidéos sur internet, compte tenu de son caractère pornographique, Discotexte est dans l’impossibilité de le présenter.]
« On ne veut pas se retrouver pris au piège de ce que sont les clips, en général – tu ne peux pas montrer des nichons, ni des gens en train de fumer… Malheureusement, en tant que groupe, on doit rentrer dans un cadre commercial… »
Brian Molko
Qu’en est-il de vos collaborations musicales : comment choisissez-vous vos participations aux projets d’autres groupes ?
Brian Molko : Une fois encore, la collaboration s’établit sur les bases d’une amitié. À certaines occasions, on m’envoie des morceaux : il y en a certains que je vais faire, d’autres pas… Et c’est souvent des gens que je connais : Alpinestars, Dimitri Tikovoï et son concept Trash Palace… Et récemment, une collaboration avec Jane Birkin [le titre Smile, sur l’album Rendez-vous (Capitol, 2004), ndlr]. Ce fut un grand moment. J’adore Jane en tant que chanteuse. Elle a aussi une grande beauté. Bref, c’est une institution culturelle ! Quant au grand Gonzalès, qui a produit ce titre, il est tout simplement fantastique ! Oui, ce fut vraiment un grand jour pour moi.
Stefan Olsdal : J’ai récemment travaillé avec Darren Emerson, ex-Underworld – moi aussi, je travaille essentiellement avec des gens que je connais. Sinon, j’ai fait quelques petites choses en Hollande. Mais, en général, je travaille plus en France, sur des trucs plus dance, plus electro… Et j’ai parfois envie de devenir le chanteur leader du groupe, mais ça sonne trop gay pour Placebo… (rires)
Brian Molko : Oh, mon minou… Tu crois, vraiment ? (rires)
Parlons de ces « digressions » musicales, puisque vous êtes l’un des groupes les plus prolifiques en morceaux inédits. Comment définiriez-vous l’engouement de Placebo pour les faces B ?
Brian Molko : C’est génial, les B-Sides : c’est la liberté ultime ! Tu fais ce que tu veux ! Ça n’a rien à voir avec l’énorme dose d’énergie créatrice nécessaire à la création d’un album ! Tu peux faire des instrumentaux, des BO, et même tes covers [reprises, ndlr] peuvent être carrément expérimentales… Et ça, pour nous, c’est vraiment agréable. C’est une sorte d’exutoire à cette créativité impossible à révéler à 100% sur un album : puisqu’on n’a pas toute l’intensité commerciale sur les épaules, on peut se lâcher.
Et révéler les faces cachées de Placebo, avec des styles vraiment divers, voire très étonnants…
Brian Molko : Exact. Par exemple, Mars Landing Party a été une franche rigolade en studio ! Parce que tant au niveau des paroles que de la bande-son, c’était culotté… On jouait quelques notes et on partait dans un fou rire !
Toutes ces reprises, que vous évoquiez à l’instant, et qui figureront sur l’édition spéciale de Sleeping with Ghosts, les choisissez-vous seulement dans l’intention de faire découvrir vos influences et goûts musicaux ?
Brian Molko : Non. Il y a des titres qu’on aime, des titres qu’on pense pouvoir faire, et d’autres encore qu’il nous amuse de reprendre… Faire des covers, c’est un peu comme être en vacances. Mais ces morceaux, c’est un rapprochement avec nos vies : ce sont des sons qui ont bercé notre enfance.
Vous faites néanmoins connaître les « anciens » à vos plus jeunes fans : vous aviez précédemment fait un duo avec David Bowie, et là, vous reprenez les Pixies, Kate Bush ou encore Serge Gainsbourg…
Brian Molko : C’est possible… Par exemple pour des gosses de 15 ans qui vont découvrir Surfer Rosa (4AD, 1988) des Pixies après avoir entendu notre reprise de Where Is My Mind? Et tant mieux, parce que c’est un putain d’album : un plus grand classique que Nevermind [deuxième album de Nirvana (DGC Records, 1991) ndlr], selon moi ! Et si les jeunes sont confrontés aux Pixies, à Sonic Youth ou à PJ Harvey, et qu’ils achètent leurs albums grâce à nous, alors c’est fantastique !
Sur scène, vous rendez-vous compte de l’impact que vous avez sur le public ?
Brian Molko : Non, je ne pense pas. D’ailleurs, je crois que c’est une bonne chose. Certains disent de Placebo que c’est génial, d’autres que c’est de la merde. Mais notre but, c’est de continuer à faire de la musique. Après tout, ton job, c’est d’être musicien, artiste : c’est ce que tu sais faire, et c’est tout à fait naturel pour toi d’être sur scène, de communiquer une émotion. T’es là pour la bonne marche du concert. Après, c’est terminé ! Tandis que pour le public, ça continue encore et encore dans leur tête. De notre côté, on va boire quelques verres et se mettre au lit ; pour se réveiller le lendemain dans une autre ville ; et recommencer une fois encore. Le groupe se concentre énormément sur l’idée que chaque date de tournée n’est pas un concert, mais un vrai boulot.
Le show du 18 octobre dernier au Palais Omnisports de Paris-Bercy a-t-il été une prestation particulière pour Placebo ?
Brian Molko : C’était très, très stressant. C’est la date la plus importante qu’on ait faite : 80 000 personnes et des morceaux enregistrés, filmés pour un DVD ! Donc, forcément, il y a comme une tension, une pression supplémentaire. Il fallait que tout soit parfait pour le DVD ! Alors tu te concentres profondément pour que tout roule ; t’as pas le temps de te poser ; et, en plus, il faut que tu montes sur scène avec l’une de tes idoles, Frank Black [ex-leader des Pixies, ndlr], avec qui t’as répété ta chanson une seule fois dans la journée ! J’étais vraiment heureux quand le concert a pris fin. En sortant de scène, c’était vraiment : « Putain, ça y est, on peut souffler maintenant ! »
« Ton job, c’est d’être musicien, artiste : c’est tout à fait naturel d’être sur scène. T’es là pour la bonne marche du concert. Après, tu bois quelques verres et tu vas au lit ; pour te réveiller le lendemain dans une autre ville ; et recommencer une fois encore. Le groupe se concentre énormément sur l’idée que chaque date de tournée n’est pas un concert, mais un vrai boulot. » Brian Molko
Comment définiriez-vous les liens qui unissent Placebo à ses fans français ?
Brian Molko : En fait, c’est un peu comme une love story depuis le début. Et j’ai certainement été mis en avant parce que je parle français – et les Français adorent ça ! Il y a une tradition littéraire du Romantisme en France, avec des hommes comme Baudelaire et Rimbaud ; par conséquent, la compréhension des émotions que l’on transmet, des sentiments dont on parle, est évidente. À voir tous les groupes anglo-saxons qui ont plutôt bien marché en France – The Cure, PJ Harvey, Depeche Mode, Nick Cave, The Pixies et Placebo –, on comprend cette connexion, cette logique, ce rapport… Et puis tous ces groupes ont quelque chose en commun : une sorte de Romantisme ténébreux, et surtout une musique très émotionnelle et honnête. Quand on prend du recul et que l’on pense à tous ces artistes, c’est sensé.
Que dire des relations fans-idoles ?
Brian Molko : C’est accessible… pour chacun de nos amis !
Stefan Olsdal : Ça peut être difficile de devenir l’ami d’un fan… En général, à la première rencontre, il a déjà une certaine image de toi, de qui tu es… Il ne peut pas y avoir d’égalité : il attend beaucoup de toi parce qu’il t’estime plus important que ce que tu es vraiment. Et la relation peut devenir très exigeante. C’est super difficile d’y arriver.
Placebo semble aussi concerné par les autres arts, l’Image en général – cinéma, photos, mode, pubs, clips…
Brian Molko : Je sais les fans très attachés aux clips. Mais c’est souvent encore et toujours la même chose. On s’intéresse beaucoup plus au cinéma, à la photo. Et surtout à la mode… C’est vraiment cool d’être en relation avec de grands créateurs. Nous sommes vraiment chanceux. On a réalisé un tee-shirt, récemment, avec agnès b., avec les paroles de I’ll Be Yours. Et de voir les noms d’agnès b. et de Placebo ensemble sur le tee-shirt… Waouh ! On en est vraiment très fiers !
Stefan Olsdal : D’ailleurs, là… Ouais, je porte du agnès b. !
Quelles sont vos affinités avec la créatrice, qui signe également vos tenues de scène ?
Brian Molko : Agnès est vraiment une très bonne amie… Je l’ai rencontrée à l’Olympia, il y a quatre ans. On était tous les deux très intimidés l’un par l’autre. Mais, au fil des années, on est devenus très proches. J’essaie de la voir chaque fois que je viens à Paris – d’ailleurs, je n’ai atterri qu’hier, mais je lui ai déjà téléphoné… C’est quelqu’un que je respecte et que j’aime très tendrement.
Stefan Olsdal : J’admire la façon dont elle mène son business. Elle est très indépendante. Elle n’a pas peur d’aller au fond de sa passion pour l’Art – il n’y a qu’à voir ses collaborations avec des artistes comme Gilbert & Georges… C’est une femme fantastique, incroyable…
Brian Molko : Agnès a aussi une société de production de films [Love Streams Productions, ndlr], et elle soutient et travaille pour de jeunes photographes ou vidéastes… Elle est capable d’être sur dix projets en même temps ! Et je l’admire pour ça.
De toute évidence, vous faites attention à l’image que vous renvoyez…
Brian Molko : Oui, on essaie de faire un effort.
Stefan Olsdal : Comme la plupart des gens, j’aime être présentable. Parfois, même, le groupe essaie d’être plus expressif dans ce qu’il porte que dans ce qu’il fait !
Brian Molko : On n’a pas envie de ressembler à Oasis : arriver sur scène comme si on sortait du bar… Trop peu pour nous !
SOULMATES NEVER DIE, PLACEBO LIVE IN PARIS 2003, DE PLACEBO (VIRGIN / ELEVATOR MUSIC, 2004)
Mickaël Pagano, 2004
© PHOTOS : DR, MATT CARR / GETTY IMAGES, GRASSET, MICHAEL HALSBAND, JEAN-BAPTISTE MONDINO