FERNANDO MEIRELLES
“BLINDNESS”
Ouvrir les yeux
Le cinéaste brésilien Fernando Meirelles (La Cité de Dieu, 2002) adapte L’Aveuglement, du prix Nobel de littérature portugais José Saramago : Blindness porte un regard juste sur la condition humaine. Une illumination.
On ne perdra pas de vue le réalisateur Fernando Meirelles. Ses deux précédents films, les adaptations mondialement remarquées de La Cité de Dieu (coréalisé avec Kátia Lund, 2002) et de The Constant Gardener (2005), exposaient le chaos dans une explosion graphique et saturée de couleurs grâce à une caméra témoin agitée au cœur des violences. Si l’apocalypse est aussi une perspective annoncée dans son dernier long métrage, Blindness, le cinéaste brésilien va à l’encontre de l’esthétique qui a fait son succès. Pour donner à voir la cécité.
Épidémique, le mal plonge peu à peu une ville entière dans le néant. Mais pas dans le noir, puisque ses habitants, subitement isolés du monde extérieur, baignent dans une lumière blanche. L’aveuglement remet en question le cinéma, et pas seulement celui de Fernando Meirelles : comment rendre la non-voyance à l’écran ; comment adopter un point de vue ? La mise en scène de Blindness répond avec subtilité : les images sont pâles, souvent voilées, floues, abstraites, superposées ou surexposées ; la bande sonore est claire, amplifiée, tournée vers le hors-champ ; et le personnage principal du film, la femme d’un ophtalmologiste, est le seul qui puisse voir.
« Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe. » La citation, extraite de l’ancien livre des exhortations et en préface du roman dont est tiré le film (L’Aveuglement, de José Saramago, Les Éditions du Seuil, 1997), ressemble à une prescription formulée à l’égard du réalisateur, de la protagoniste et du spectateur. Tour à tour allégorie des réactions politiques et individuelles aux catastrophes naturelles, des menaces de l’avenir, réflexion sur les instincts primitifs, l’animalité de chacun et les relations sociales entre tous, expérience, aussi, de la faiblesse désespérée ou de l’étonnante force de la conscience humaine, Blindness, finalement, ouvre les yeux sur notre refus de voir. Ce qui se passe autour de nous. Ce que nous sommes.
En s’enfermant volontairement avec les contaminés pour rester auprès de son mari, la femme du médecin (parfaite Julianne Moore) passe de voyante à voyeuse, « contrainte » d’observer ceux qui l’entourent, lui parlent et l’écoutent, la touchent mais ne lui renvoient pas son regard, et leur déchéance. Sans jamais la maîtriser tout à fait, elle renversera plusieurs fois la situation, se délivrera de cette impuissance en se révélant ses propres responsabilités, en agissant, tel un symbole biblique (un nouveau Messie ou saint Paul), pour l’amour de son prochain, sinon pour sa survie. Comme elle, le spectateur est soumis aux images les plus édifiantes et terrifiantes. Puis contrairement à cette femme, il est toujours confronté à ce qu’il préfèrerait ne pas (sa)voir. Et pourtant, comment détacher les yeux d’une œuvre aussi morale et éblouissante que Blindness ?
BLINDNESS, DE FERNANDO MEIRELLES (PATHÉ DISTRIBUTION, 2008)
Mickaël Pagano