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En toute simplicité

AGNÈS B.
AUTOPORTRAIT

On a tous quelque chose d’elle. Un produit cosmétique du Club des Créateurs de Beauté, un T-shirt rayé, un préservatif gratuit dans la poche, une collection de photos, un film produit par Love Streams, le dernier album de -M-, un graffiti sur le mur de notre immeuble ou un souvenir précis de la Cité Royale…
Artiste aux talents pluriels et singulière styliste, Agnès B. est en chacun de nous. Seulement parce qu’elle est proche des gens, tout autant complice du commun que de l’unique…
Discotexte lui offre un autoportrait (presque) hors du temps, son mode de vie pour une vie de mode.

« Je n’aime pas le mot “créateur”, bien trop grand pour que je l’emploie. Aujourd’hui, je me dis styliste. Mais je ne travaille jamais avec des notes ou des documents, comme d’autres. Il me suffit seulement de penser aux gens qui porteront mon vêtement. »

Une enfance à Versailles

J’ai habité rue du Maréchal Gallieni, avec mes trois frères et sœurs. C’est curieux comme on s’attache à certains souvenirs ; j’ai une mémoire très précise de l’endroit, des sensations aussi : la lumière, les odeurs… J’ai donc été élevée à côté du Bassin de Neptune où j’allais jouer tous les jours après l’école. Et si j’étais souvent de ce côté du Parc, je connaissais bien aussi le quartier Saint-Louis, où mon grand-père, un général a vécu. j’ai fait toutes mes études au cours Gufflet – qui a fermé depuis quelques années –, avec des profs géniaux, de vrais humanistes – ils ont même réussi à me faire aimer le latin ! J’ai aussi suivi des cours de dessin neuf heures par semaine aux Beaux Arts de Versailles. C’est mon père, avocat, qui m’a fait partager son goût pour la musique et l’art. J’ai reçu une éducation très classique, très chrétienne… Et malgré cela, à 17 ans, donc après ma Terminale, je me suis mariée.

Arrivée dans la mode

Ayant quitté mon mari, je suis partie vivre seule avec mes jumeaux. Là, il a fallu faire des économies, pour subvenir à leurs besoins. Je m’habillais donc avec des vêtements trouvés aux Puces ou à Prisunic ; et puis très vite, j’ai commencé à m’amuser, à mélanger les choses, à faire « à ma manière ». Parce que j’avais l’impression que les vêtements étaient « plaqués », il a fallu que je m’exprime, que je les personnalise : et j’ai souvent joué de la teinture, seulement parce que je n’aime pas coudre – la couture, ça ne va pas assez vite : encore aujourd’hui, j’adore dessiner un vêtement, mais une fois qu’il est dessiné, je voudrais qu’il soit immédiatement là, sur mon bureau, tout fait !

Le métier de styliste

Après avoir été repérée par une journaliste de Elle – j’avais un style assez original en fait – , et avoir écrit sur la mode, j’ai travaillé pendant deux ans chez Dorothée bis. Ça a été très dur. En fait, j’y ai appris tout ce qu’il ne fallait pas faire ; c’est-à-dire qu’on fait des erreurs au début… On fait un dessin, et puis on voit arriver le vêtement et on se dit : « Oh la la, qu’est-ce que c’est que ça ?! » On essuie les plâtres ! Je suis contente d’être passée par là, parce que je ne pense pas qu’on apprenne vraiment à penser le vêtement à l’école. C’est un métier où il faut apprendre beaucoup de choses, où le métier, justement, a beaucoup d’importance, je crois. Aujourd’hui, je me dis styliste. Je n’aime pas le mot « créateur », bien trop grand pour que je l’emploie. Être styliste, c’est intéressant : c’est styliser les choses, leur donner une – sa – personnalité, sans qu’elle soit trop présente, en même temps, puisque ce qui m’importe, c’est de faire ressortir la personnalité des gens qui portent le vêtement plus que la mienne !

Le vêtement

C’est ce qui est le plus proche du corps. Les gens attendent beaucoup d’un vêtement : grâce à lui, ils veulent être beaux, eux-mêmes… Ils en attendent presque trop, peut-être, aujourd’hui. Cela dit, moi-même, je suis exigeante dans sa fabrication, et je travaille énormément : il faut que la coupe soit belle, il faut qu’il y ait des idées. Et puis je fais faire les tissus, je veille à la matière – car on ne fera jamais un beau vêtement dans une matière moche ! D’ailleurs, chez agnès b., la douceur, au toucher, est très importante.

Les boutiques agnès b.

Les boutiques sont comme des lieux publics où l’on peut exprimer des choses : messages, idées, révoltes ou passions. C’est pourquoi depuis sept ans, on trouve des préservatifs dans des bocaux, pour que même ceux qui n’achètent rien en prennent une poignée. On a aussi, dans la collection, une écharpe rouge pour la lutte contre le sida. Et il y a une réponse formidable de nos clients… Moi je ne fais que proposer des idées, et eux s’impliquent. Je ne veux pas faire de politique dans les boutiques, mais j’ai le souci de l’Autre, des problèmes qui se posent à lui. Alors, si je peux l’exprimer d’une façon ou d’une autre… Même les gens qui travaillent dans les boutiques agnès b. sont contents de pouvoir s’engager aussi, en proposant des choses… Et par-dessus tout, j’aime la fluidité, l’harmonie : les boutiques sont des lieux de passage et doivent être conviviales.

Les mamans et les enfants

Je suis moi-même la mère de cinq enfants… Autour de moi, j’ai pu voir des futures mamans fières de mettre leur beau ventre rond en avant. Alors j’ai voulu faire quelque chose pour elles. Il y a quinze ans, j’ai ouvert une boutique qui présentait les collections enfant et layette ; en octobre 2001, une boutique « le petit b. b. » est née ; enfin, la ligne « pour attendre », distribuée depuis mars, vient d’y trouver naturellement sa place, puisqu’il s’agit d’une collection pour les femmes enceintes. Un endroit comme celui-ci manquait, je pense. C’est important, pour une femme qui va avoir un bébé, de savoir ce qu’elle peut porter, ce qui la mettra en valeur, et, en même temps, de pouvoir déjà choisir, toucher les vêtements de son enfant…

Le défilé Printemps/Été 2002-2003

On nous avait proposés une salle, au Petit Palais, qui ne nous a pas plu : le décor n’était pas le bon. Alors on a fait ça dans l’appartement du service presse, qui n’est autre que l’ancienne Maison agnès b. ! Mais j’ai décidé de le changer un peu : on a habillé trois murs de panneaux blancs et recouvert le parquet Versailles d’un lino blanc, on a mis des chaises, et des stores aux fenêtres… Une sorte de mélange entre ma culture classique et celle qui a pu me nourrir par la suite (pop art, rock, etc.) : la moitié du grand salon était en boiserie, avec des tableaux anciens, et l’autre moitié comme une boîte blanche. Et à la fin du dernier défilé, j’ai donné des feutres aux mannequins pour qu’ils mettent leurs noms aux murs : ils ont très bien compris le concept, respectant la partie boiserie pour ne signer que sur ces parois blanches éphémères… Et finalement, tous ceux qui étaient là – amis, graffeurs, techniciens – ont laissé une trace de leur passage, un mot. Ce fut un défilé très ludique : je n’aime pas que les choses soient trop sérieuses, solennelles, mais plutôt que l’ambiance soit gaie.

Influences et idées

L’influence, on ne sait pas d’où ça vient. Il y a des réminiscences… Je ne travaille jamais avec des notes ou des documents, comme d’autres stylistes. Il me suffit seulement de penser aux gens. Et ça m’est d’autant plus simple de concevoir un vêtement pour une personne, artiste ou non, si je la connais. Par exemple, je n’ai aucune difficulté à dessiner pour Brian [Molko, chanteur de Placebo, ndlr] ou Matthieu [Chedid, alias -M-, ndlr], comme je n’aurais pas non plus l’angoisse de la feuille blanche si je dois juste penser à une fille aux yeux clairs, en bas, pour qui je ferais certainement quelque chose dans les gris pâles… La conception est toujours ludique. C’est souvent une histoire : « On dirait qu’on serait… »

Mickaël Pagano, 2002

© PHOTOS : DR, AGNÈS B., KAZOU OHISHI, PHILIPPE LEROY, CHRISTIAN MOSER, PATRICK SWIRC