En terre promise
NOURITH
« NOURITH »
Après avoir plané sur les difficultés puis au-dessus des talents français grâce à un premier album en hébreu, pris quelque air frais dans la comédie musicale biblique aux millions de spectateurs, le « petit oiseau » israélien vole enfin de ses propres ailes avec l’éponyme et chantant Nourith…
Discotexte : Vous avez chanté un premier album, Kôl Yishama (Polydor, 1999), dans votre langue natale, et donné votre prénom au second, Nourith (Polydor, 2002), qui vient de sortir. Mais lequel des deux vous ressemble le plus ?
Nourith Sibony : Les deux sont autobiographiques. Mais pour être honnête, je n’ai pas écrit les textes de celui-ci : il ne m’appartient pas complètement. Ceci dit, j’ai rencontré des personnes qui ont écrit pour moi : elles me connaissent et se sont investies de manière assez particulière dans cet album. Des amitiés se sont créées entre ces auteurs et moi. Il y a eu beaucoup de rencontres : en plus des conversations autour d’un thé, certains sont venus me voir travailler en studio, et ont eux-mêmes travaillé pendant plusieurs mois en me demandant toujours mon avis. Un engagement que j’ai retrouvé avec les musiciens également : je les ai sentis très appliqués, impliqués, même quand ils n’avaient plus à enregistrer. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à expliquer tout l’amour qui a accompagné ce projet. Un lien s’est tissé entre tous ceux qui ont participé ou simplement entendu parler de cet album… Peut-être, justement, parce qu’il représente plusieurs facettes de moi, alors que le premier, Kôl Yishama, est – malgré moi – mystérieux, voire mystique. Je ne suis pas si fragile qu’on voudrait le penser : il m’arrive d’exploser de rire, d’être méchante et en colère, de chanter du rock ! J’ai donc essayé d’avoir une plus large palette dans ce nouvel album, pour que ce soit plus épanouissant à chanter et à écouter.
Comment ce nouvel album a-t-il été conçu ?
Je choisis presque toutes mes mélodies avec Jean-Pierre Taïeb, avec qui je travaille depuis dix ans – il est déjà compositeur sur le premier album et le fidèle complice de Maurane. Lui-même me présentait des choses depuis quelques années, mais on a quand même fait appel à d’autres compositeurs, écouté beaucoup de chansons. Très peu m’ont plu. Je savais parfaitement de quoi j’avais envie ou pas : j’ai donc mis trois ans à me décider sur le choix des onze titres. Il a fallu ensuite trouver les paroles. J’ai rencontré vingt-cinq auteurs, lu quatre-vingts textes ; et si certains ne sont pas retenus, c’est parce qu’ils ne me plaisent pas du tout ou qu’ils ne collent pas à la mélodie des morceaux, mais en aucun cas parce que je ne saisis pas encore tout à fait leur sensibilité : car mes complices m’expliquent toutes les nuances de la langue française ! Par exemple, On oublie et Pour un seul homme ont existé musicalement pendant trois ans et n’ont trouvé leur texte qu’un mois avant l’enregistrement ! Mais je ne voulais pas faire l’album sans ces chansons… Et j’ai d’ailleurs la conviction qu’on peut comprendre qui je suis simplement à travers elles deux.
Votre parcours est semé d’embûches… Aujourd’hui, votre succès est-il, plus qu’une récompense, le reflet et le résultat d’une grande persévérance ?
À vrai dire, depuis que je me souviens de moi-même, je me vois chanter. La musique, dans le rapport avec l’Autre, avec les autres, est la seule chose qui m’ait rendue heureuse – je me sens bien sur scène comme nulle part ailleurs… Je parlerais de mon présent comme d’un accomplissement, un résultat mérité et magique, puisque d’autres le méritent aussi sans pouvoir, malheureusement, accéder à la célébrité…
« J’ai du mal à expliquer tout l’amour qui a accompagné ce projet. Un lien s’est tissé entre tous ceux qui ont participé ou simplement entendu parler de ce nouvel album… Peut-être, justement, parce qu’il représente plusieurs facettes de moi. »
Aviez-vous la même émotion lorsque, à votre arrivée en France, vous chantiez dans la rue ?
J’avais déjà ce sentiment de liberté et de bien-être, oui. Mais pas le même état d’esprit. Chaque situation a ses avantages et ses inconvénients. Devant les terrasses de café, j’avais conscience que ce que je faisais était exceptionnel, dangereux. Pourtant, lorsque mon public réagissait bien, que des passants s’arrêtaient pour m’écouter et m’applaudir, j’avais gagné : malgré le manque de confort – l’absence de micro, notamment, qui ne permet pas toutes les interprétations –, c’était merveilleux ! À l’inverse, parfois, devant cinq mille personnes, on peut se sentir seule sur scène : avec la lumière dans la figure et la salle plongée dans le noir, c’est tout de suite moins évident de croiser les regards ! Par contre, c’est exaltant d’être entourée par des musiciens, d’entendre sa voix bien sonorisée et de chanter ses propres chansons…
Vous avez suivi des cours de chant, d’interprétation, de danse, d’art dramatique… Que manque-t-il à votre carrière ?
Des projets intéressants ?… Je suis loin d’être une artiste complète. J’ai encore beaucoup à apprendre. Par exemple, je bouge plus que je ne danse : je regrette d’avoir laissé tomber ces leçons d’expression corporelles ! Pour ce qui est de la comédie, j’ai adoré travailler pour le théâtre et le cinéma… Quand j’ai appris le métier, notamment pendant les répétitions, les choses me semblaient toujours laborieuses ; et pourtant, face à un public, ça allait de soi ! J’ai du mal à travailler seule : je me sens nulle et je suis en difficulté. Pour autant, tous ces problèmes se résolvent immédiatement avec la présence d’un public ! Lorsque j’étais chanteuse dans l’armée israélienne, nous avions des répétitions jusqu’à 2 h 00 du matin ; j’avais beau être motivée, je n’arrivais pas à faire les choses comme je le voulais, qui plus est contrariée par un metteur en scène complètement dingue qui voulait m’écarter du groupe. Mais tous les autres lui ont dit : « Ne t’inquiète pas, laisse-la faire le spectacle… Tu vas voir… » Et lors de la première, j’étais en place ! Oui, j’ai certainement encore beaucoup à apprendre, même au niveau du chant, puisque j’ai récemment appris à chanter en français : cela m’aura demandé trois ans de travail vocal et de diction, d’enregistrements, pour écouter et maîtriser le changement de ma voix…
Vous êtes-vous déjà produit en Israël depuis votre succès français ?
Oui. C’était très agréable pour moi d’y revenir en connaissant mon métier : j’étais là, avec mon disque, venant de France… On m’attendait presque avec le tapis rouge ! Moi, je me souvenais surtout de mes premières galères, et le contraste était plutôt risible ! Le plus drôle, c’est cette émission que j’ai faite à mon arrivée… Depuis mon enfance, je rêvais d’être sur ce plateau de télé, et je m’y retrouvais enfin, interviewée par cet éternel animateur ! Celui-ci m’a demandé de chanter mon single, et je me suis volontiers prêtée au jeu de poser ma voix live sur un play-back musical. Seulement, par deux fois, la musique n’a jamais voulu démarrer ! Alors, face aux spectateurs et aux caméras, je me suis jetée à l’eau : « Bonjour, peuple d’Israël… On dirait qu’il y a un souci technique… Ça vous dit un a capella ? » Et si j’ai d’abord été déçue – seulement parce que ça ne s’était pas passé comme je l’avais imaginé –, j’ai vite compris que cette mésaventure m’avait servie plutôt que desservie : grâce à elle, les gens m’ont gardée dans leur mémoire.
Que vous apporte le rôle de Sephora, la femme de Moïse, que vous interprétez depuis sa création dans le spectacle musical d’Élie Chouraqui et Pascal Obispo, Les Dix Commandements (Atletico Records, 2000) ?
Ce n’est pas tant le rôle mais ma présence dans ce projet. J’adore les gens qui y participent. On se nourrit les uns les autres, à travers nos histoires personnelles et nos parcours professionnels. Voilà pourquoi Yaël [Naim, ndlr], qui joue Miryam, la sœur de Moïse, signe avec moi la musique de Partir… Le rôle est très agréable à interpréter : je suis le seul personnage joyeux, en tout cas au début. Et c’est excitant de jouer avec Daniel [Lévi, interprète de Moïse, ndlr], d’être mariée avec lui sur scène… Un vrai plaisir ! C’est un chanteur extraordinaire qui m’a étonnée chaque soir de représentation pendant deux ans : il maîtrise tellement le chant qu’il était capable d’improviser à chaque fois sa ligne de mélodie ! Son album [Ici et maintenant (Polydor, 2002), ndlr] vient de sortir, et il est vraiment bon… J’ai beaucoup de respect pour toute l’équipe des Dix Commandements. Il y a une phrase de Kafka, je crois, qui dit : « Si le monde n’est pas assez bon pour toi, donne-lui de la valeur » ; je pense m’être donnée de la valeur grâce à leur mérite…
D’après le tracklisting annoncé, Partir, dont vous parliez à l’instant, sera le dernier titre du nouvel album. Mais nous reviendrez-vous bientôt ?
Bien sûr ! En fait, je vais même rester dans le coin un moment ! Peut-être se croisera-t-on à nouveau ?
NOURITH, DE NOURITH (POLYDOR, 2002)
Mickaël Pagano
© PHOTOS : PHILIPPE CROCHARD, JUAN SOLANAS