JENNIFER LYNCH
“SURVEILLANCE”
Mensonges et vidéos
Quinze ans après le très controversé Boxing Helena (1993), Jennifer Lynch revient à la réalisation avec Surveillance (en sélection officielle au Festival de Cannes 2008), un thriller intense qui permettra certainement à la « fille de » (David) d’être observée de près par ses pairs…
« Deux agents du FBI arrivent dans une petite ville perdue pour enquêter sur une série de meurtres. » (extrait du synopsis officiel)
Pour son deuxième long métrage, Jennifer Lynch aurait-elle plagié l’intrigue de Mystères à Twin Peaks (1990), la célèbre série créée par son père et Mark Frost ? Si elle avoue sans détour que le nom de David Lynch comme producteur exécutif l’a aidé à monter son film, la réalisatrice n’a pas eu besoin de fouiller l’œuvre paternelle pour en trouver le véritable sujet : la perception d’un même événement par diverses personnes. La filiation pourrait donc s’établir à l’égard de Rashômon d’Akira Kurosawa (1950) ou I Saw the Whole Thing d’Alfred Hitchcock (1962), dans lesquels plusieurs témoins donnaient chacun leur version d’un crime/accident.
Dans Surveillance, Jennifer Lynch met en scène trois interrogatoires filmés. Soit trois histoires (le départ en vacances d’une famille, le deal d’un couple de junkies, les arrestations abusives par deux policiers) qui s’emboîtent sur une fin identique (un carambolage puis une tuerie provoqués sur la route par des « serial killers »). Mais certaines vérités n’étant pas bonnes à dire, les personnages cachent tous quelque chose : leur part d’ombre. Avec ces déclarations, passé et présent, son et images se télescopent. Ainsi, dès lors qu’elles sont faites en voix off, les dépositions n’ont plus rien à voir avec les flash-back qui les illustrent. Quant aux principales « vérités » (les news à la télé, les interrogatoire filmés), elles sont chaque fois révélées par le biais de la caméra ou de l’écran de Surveillance. Que/Qui faut-il croire ?
À l’instar de l’agent du FBI Sam Hallaway (Bill Pullman) qui, tel un cinéaste omniscient en salle de montage, visualise et reconstitue seul le puzzle des vérités énoncées, le spectateur s’avise lentement des apparences trompeuses dénoncées. Lentement mais jamais sûrement. Car plus on s’enfonce dans les mensonges, plus notre perception du Bien et du Mal est floue. Flouée, même, par une tension et une cruauté graduellement insinuées par la réalisatrice. Jusqu’au dénouement, climax d’une violence à la fois cathartique et jouissive. Les uns parleront de « twist ending », final inattendu. Les autres, qui « referont » le film sous un nouvel angle, observeront que Jennifer Lynch nous questionne tout au long de Surveillance : « dire la vérité peut-il vous sauver la vie ? »
SURVEILLANCE, DE JENNIFER LYNCH (WILD BUNCH DISTRIBUTION, 2008)
Mickaël Pagano