Récolte décennale
GILLES CLÉMENT
« LE JARDIN PLANÉTAIRE »
« Ensemble, nous décidons que la Terre est un seul et petit jardin. »
Dix ans après l’exposition-promenade « Le Jardin Planétaire » à la Grande Halle, dont le concept consacrait le jardinier, l’architecte-paysagiste et enseignant Gilles Clément cultive toujours sa proposition.
Parce qu’on ne récolte pas seulement ce qu’on a semé, et qu’un meilleur avenir reste possible.
« La seule ambition de cette exposition, c’était de dire que nous dépendons totalement de la biodiversité que nous exploitons, et que l’homme se condamne en la mettant en péril. Dix ans plus tard, nous avons toujours le devoir d’interpréter, de gérer intelligemment la finitude planétaire et l’énergie comptée pour réajuster cette biodiversité. D’éviter sa destruction. »
Discotexte : Quels étaient les fondements du concept de Jardin Planétaire ?
Gilles Clément : L’essentiel du Jardin Planétaire venait de la définition même du mot « jardin », de l’allemand « garten », « enclos » : un lieu où l’on protège le meilleur, le plus important. C’était aussi un constat. C’était il y a plus de dix ans et l’on était déjà dans une situation planétaire à laquelle je voulais proposer une solution. J’ai commencé par écrire Thomas et le voyageur (Albin Michel, 1997), un ouvrage dont le thème est un fiction, pour en fixer les bases. Il s’agissait d’une prise de position, une manière d’infléchir les aménagements du futur et de leur donner une tonalité philosophique, éthique, économique, écologique, politique. Il se trouve qu’après la parution du livre, on m’a commandé un synopsis pour une exposition : « Le Jardin Planétaire », que j’ai sous-titrée « Projet politique d’écologie humaniste ».
Cette exposition-promenade dont vous êtes le commissaire s’adressait-elle donc implicitement aux politiques ?
Dans toute l’exposition, il était sous-entendu que l’on avait acquis ici et là des gestes écologiques. J’ai tenté de faire comprendre aux politiques qu’ils pouvaient s’en servir. « Le Jardin Planétaire » évoquait bien des méthodes : de l’agriculture sur d’immenses surfaces à la récupération des déchets d’industries en recyclage direct ou différé… Tous les exemples présentés étaient bons à prendre. En particulier dans la deuxième partie, qui montrait des applications fonctionnant déjà sur la planète : des solutions de gestion parfois mineures, parfois immenses, issues des pays riches ou des pays pauvres, mais toujours liées à des localités, des populations, des pensées, des cultures. Comme l’éradication d’une maladie qui sommeille en Afrique, qui atteint les hommes et les troupeaux, en empruntant à la technologie la plus pointue mêlée à quelque chose de plus simple, de plus archaïque : dans le cas présent, un satellite et un tissu bleu ou vert, qui se substituent aux précédentes avionnettes bourrées de pesticides qui tuaient tous les insectes et détruisaient tout l’écosystème.
Pourriez-vous nous rappeler quelles étaient les autres parties de la scénographie conçue par Raymond Sarti dans l’espace – 4500 m2 – de la Grande Halle de la Villette ?
On entrait dans l’exposition par la diversité en général : animale, naturelle et culturelle. Et de l’autre côté, parce qu’il y avait une sorte d’effet miroir, je disais la manière dont on voit le monde. Les cosmogonies, au nombre de sept, avaient beaucoup d’importance, afin d’avoir différentes façons d’imaginer la création du monde et de l’immédiate conséquence de la manière dont on s’en occupe. Il était important de parler de la biodiversité culturelle dans un ordre planétaire. C’était même fondamental. Dans la dernière partie de l’exposition, il y avait des semis directs où l’on pouvait voir pousser divers végétaux. C’était une scénographie de jardin.
Comment analysez-vous le succès du « Jardin Planétaire », bientôt dix ans après ?
Si cette exposition a eu lieu, si elle a eu un tel retentissement, c’est parce que c’était la première fois que l’on montrait quelque chose qui, finalement, ne parlait que d’écologie, mais sans jamais en dire le mot. Donc, toutes les tensions et les batailles qui se font en son nom en étaient absentes. C’était aussi la première fois qu’on en parlait sans dire : « Il est interdit de… » La seule ambition de cette exposition, c’était de dire que nous dépendons totalement de la biodiversité que nous exploitons, et que l’homme se condamne en la mettant en péril. Dix ans plus tard, nous avons toujours le devoir d’interpréter, de gérer intelligemment la finitude planétaire et l’énergie comptée pour réajuster cette biodiversité. D’éviter sa destruction.
Quelles ont été les conséquences de cette exposition ? Qu’est devenu le concept du Jardin Planétaire ?
Il y a d’abord eu une mission régulière, suivie, avec le Conservatoire du Littoral, sur un jardin important dans le sud de la France : le Domaine du Rayol, dit « Jardin des Méditerranées », l’un des rares endroits ouvert au public et très emblématique de toute une réflexion qui touche au Jardin Planétaire. En fait, un jardin est – presque – toujours un index planétaire, dans le sens où même une friche à Paris en est un parce qu’un robinier est venu se planter là tout seul au XVIIIe siècle ou parce qu’elle compte des ailantes pourtant d’origine chinoise. Toutes ces plantes croisées, c’est un index planétaire qui renvoie à autant de régions du monde entier, avec des plantes qui ont un point commun : elles ont besoin du feu, un outil du jardinage planétaire, pour se régénérer. Le Domaine du Rayol est à la fois un lieu de visites et un jardin de pédagogie, pour les écoles, où l’on parle des conséquences ou des suites du « Jardin Planétaire », qui a évolué pour devenir aujourd’hui un véritable concept. Malheureusement, pour l’instant aucun politique en France n’a pris les choses en main en se disant : « Je vais regarder cet aspect de la question, sérieusement, et organiser la politique gestionnaire d’une ville ou d’un territoire quelconque à partir des idées du Jardin Planétaire. » Mon communiqué [posté sur son site internet au lendemain du résultat des élections présidentielles 2007, et dans lequel Gilles Clément annule tous ses contrats avec l’État français après avoir décidé « d’orienter (ses) interventions, (ses) efforts et toute (son) énergie à la mise à bien du projet Jardin Planétaire, là où en toutes circonstances il est possible de développer un projet utile à l’humanité et non dirigée contre elle », ndlr] est donc toujours d’actualité…
Doit-on comprendre que le concept du Jardin Planétaire serait plus écouté au-delà des frontières françaises ?
Oui. Je suis sollicité et je fais énormément de conférences dans le reste du monde, où l’on me demande systématiquement de présenter les trois concepts que sont le Jardin Planétaire, le Jardin en Mouvement, et le Tiers-Paysage. J’ai notamment participé à une étude importante en Chine, en 2002, qui s’est intitulée « Le Jardin Planétaire de Shanghai » : aux dernières nouvelles, ils exécuteraient le cahier des charges – déplacement du site industriel, réutilisation de certaines des quatre cents carrières alentour, etc. – que je leur avais remis à l’époque. Actuellement, je travaille sur deux grands projets : l’un au sud du Maroc, à Tant-Tan, et l’autre en Libye ; deux lieux où il n’y a pas d’eau ou très peu, et où se posent donc des problèmes gestionnaires, écologiques, et de développement. Les raisons pour lesquelles j’ai été appelé là-bas, c’est justement parce que les projets s’inscrivent dans l’éthique du Jardin Planétaire, parce que ce que je suis pour eux représente l’idée de la gestion écologique. En Libye, par exemple, il s’agit d’organiser une ceinture verte autour de la partie la plus dense de la ville : un parc public qui irait de la mer à la mer.
Qui sont les acteurs du Jardin Planétaire, aujourd’hui ?
J’en ai formulé l’idée, et j’en ai fait une grande expo’. Mais je n’ai fait que mettre un nom sur un concept qui n’en avait pas. Il n’y a jamais eu de manifeste et le terme est maintenant sous-entendu. Depuis, le Jardin Planétaire m’a simplement échappé : il est partout – comme une expression, on le retrouve assez fréquemment – et beaucoup de monde le découvre encore. Mais aucun collectif ne s’est organisé autour du concept. Disons que je suis en accord avec plusieurs personnes, particulièrement dans d’autres professions que la mienne. Les paysagistes ne me suivent pas vraiment : parce que nous sommes en concurrence – manifestement, certains sont jaloux du fait qu’on parle de moi. Ce n’est pas là que se trouvent les appuis, mais plutôt des sympathies avec les jeunes, principalement des étudiants, qui sont complètement en phase avec le Jardin Planétaire.
NEUF JARDINS – APPROCHES DU JARDIN PLANÉTAIRE, DE GILLES CLÉMENT, SOUS LA DIRECTION D’ALESSANDRO ROCCA (ACTES SUD, 2008)
Mickaël Pagano, 2008
© PHOTOS : YANN MONEL, RAYMOND SARTI