L'intelligence
du cœur
MATHILDE SEIGNER
« L'ÉDUCATION DE RITA »
Sortir de son ignorance est le vœu le plus cher de Rita, un personnage féminin avec lequel Mathilde Seigner a souhaité se faire connaître de nouveau sur le devant de la scène. Avec spontanéité, humour, et, surtout, intelligence.
Discotexte : Qui est Rita, que vous interprétez presque chaque soir depuis des mois, dans la pièce de Willy Russell, L’Éducation de Rita, adaptée et mise en scène par Michel Fagadau ?
Mathilde Seigner : C’est une coiffeuse de 30 ans qui décide de se cultiver, parce qu’elle est complexée. Elle ne connaît rien et veut savoir, veut comprendre… Elle va donc s’inscrire à l’université, où elle est acceptée. Toute la pièce repose sur cette rencontre, entre son professeur et elle. Rita l’aime beaucoup, mais prend son indépendance – en fréquentant des étudiants – au fur et à mesure qu’il s’attache à elle.
Vous avez incarné beaucoup de personnages, tous différents. Rita n’est-elle pas cependant la femme qui vous ressemble le plus ?
Si. C’est la seule, avec Madame Sans-Gêne [dans le téléfilm éponyme réalisé par Philippe de Broca (2001), ndlr]. Rita, surtout dans la deuxième partie de la pièce, me ressemble énormément : elle a du caractère, elle dit ce qu’elle pense… Dans la première partie, puisqu’elle est coiffeuse, c’est une fille assez loin de moi : nous n’avons pas évolué dans le même milieu. Il s’agit donc plus d’une composition, pour moi, tandis que je suis presque moi-même, finalement, dans le deuxième acte.
Mais ne souhaitez-vous pas justement vous défaire de cette étiquette d’une actrice franche et spontanée, « grande gueule », qu’on vous colle souvent ?
Au fond, je n’ai jamais eu que deux rôles comme ça. Je ne comprends pas… Quand je joue ce que je suis, on me dit : « Oh, mais, c’est trop proche de toi », et quand je fais l’inverse, d’autres me demandent : « Mais pourquoi tu ne joues jamais ce que tu es ? » Quoi que je fasse, on trouvera toujours à redire ! Une hirondelle… […a fait le printemps, de Christian Carion (2001), ndlr] est très loin de moi ; Harry… […un ami qui vous veut du bien, de Dominik Moll (2000), ndlr] est assez loin de moi ; Vénus Beauté… […(Institut), de Tonie Marshall (1999), ndlr], peut-être pas ; Belle-maman [de Gabriel Aghion (1999), ndlr], on n’en parle même pas ; Rosine [de Christine Carrière (1995), ndlr] – mon premier film -, est très loin de moi… Et au théâtre, j’ai joué des personnages très dramatiques, qui n’ont absolument rien à voir avec moi. Il n’y a donc que Rita et Madame Sans-Gêne qui soient proches de ce que je suis. Non… Ce qui est très fort, c’est l’image médiatique que j’ai, pas tellement l’image d’actrice – celle-ci est très éclatée, finalement, puisque j’interprète tellement de rôles différents ! Oui, mon image médiatique sera une étiquette à vie ; mais je m’en fiche ! J’exerce un métier qui vous condamne, de toute façon, tout le temps : donc, que l’on dise ou que l’on ne dise pas, on sort définitivement de scène le jour où il le faut. Moi, j’aurais parlé ! Vous savez, le nombre d’actrices qui ne travaillent plus aujourd’hui… Elles n’ont rien dit !
Profitez-vous de cette image médiatique pour faire passer des messages ?
La seule chose que je revendique, c’est cette liberté, que j’ai, d’expression, de parole : j’ai le pouvoir de dire les choses comme elles sont, et comme j’en ai envie. C’est d’ailleurs ce qui fascine, ce qui plaît ou pas au public. On s’émerveille ou on s’effare : « Dire tout ce qu’elle dit… » En même temps, ce ne sont que des fantasmes : les gens aimeraient pouvoir le faire aussi. Je suis le porte-parole de certains, peut-être, oui : simplement parce que je dis à la télé ce que les gens pensent tout bas. J’ai les moyens de le faire, pourquoi s’en priver ?
« Oui, mon image médiatique sera une étiquette à vie ; mais je m’en fiche ! J’exerce un métier qui vous condamne, de toute façon : donc, que l’on dise ou pas, on sort définitivement de scène le jour où il le faut. Moi, j’aurais parlé ! Vous savez, le nombre d’actrices qui ne travaillent plus aujourd’hui… Elles n’ont rien dit ! »
Et si vous deviez, en tant que femme, vous adresser seulement à nos lectrices ?
À vos lectrices, je dirais ceci : « Soyez libres ! » C’est compliqué, vous savez, quand on n’a pas la nature… Les femmes dépendent des hommes, sont trop amoureuses : elles en deviennent aveugles. Il ne faut pas se laisser faire, ne pas être soumise aux hommes. Et je trouve que les femmes le sont trop… Enfin… Peut-être ne le suis-je pas assez, moi ?
Rita, elle, s’est trouvée un autre professeur… Ou, plus exactement, vous remontez sur les planches avec un nouveau partenaire de jeu. Cela vous a-t-il déstabilisée ?
La mise en scène, la mise en place n’ont pas changé :c’est vraiment le jeu qui s’en trouve quelque peu bouleversé. Mais Pierre [Santini, ndlr] est formidable. Il a repris le rôle d’une façon magnifique : il joue des choses que Bernard Fresson* ne jouait pas… C’est tout à fait différent. Et quelque peu déstabilisant, c’est vrai… Car je ne peux moi-même plus jouer de la même manière. En fait, j’ai deux cents représentations dans les pattes avec un truc, et je suis obligée de tout modifier ! Mais c’est intéressant, et très étrange, d’ailleurs : c’est comme si je devais jouer une autre pièce. Car à partir du moment où je joue avec le nouveau partenaire que j’ai en face de moi, quand il faudra lui donner la réplique, je ne pourrai pas répondre comme je le faisais avant. Mais oui, c’est intéressant…
Peut-on considérer L’Éducation de Rita comme l’école de la vie et de la tolérance ?
Ce n’est pas faux. Je n’y avais pas pensé, mais c’est plutôt juste. C’est une pièce à la tonalité assez légère, au cours de laquelle on rit beaucoup. Du coup, le spectateur croit qu’il s’agit d’une pièce de boulevard, alors qu’en fait, elle a un vrai fond : c’est là un théâtre social, une histoire d’amour entre un homme d’un certain âge et une jeune femme, également une pièce qui, en quelque sorte, critique la culture. Le message est le suivant : ce n’est pas parce qu’on est cultivé qu’on est intelligent. Rita est intelligente, bien plus que les gens autour d’elle qui ont de la culture pourtant, quand elle devient cultivée, elle en est moins intelligente : elle a perdu quelque chose.
Qu’en est-il de votre propre ascension artistique ?
Je serais malhonnête si je disais que ça a été tout de suite fulgurant – et tant mieux ! –, et tout autant si je disais que j’avais ramé. J’ai un parcours « petit à petit » :le Cours Florent, puis un petit rôle, et l’année suivante un plus grand rôle, etc. Je n’ai eu ni le rôle principal ni le succès immédiatement. Au contraire, ça a été assez lent. Jusqu’à Vénus…, en fait, qui m’a révélée. Et c’était il n’y a pas si longtemps ! Pourtant, j’ai beaucoup travaillé avant ce film. Mon succès médiatique est arrivé assez tard, en fait. Mais ça n’est pas plus mal !
« Les femmes dépendent des hommes. Il ne faut pas se laisser faire. Ne pas leur être soumise – les femmes le sont trop. »
Fût-il délicat de se faire un prénom dans une famille comme la vôtre, déjà si établie dans le milieu des arts et du spectacle ?
Un peu, oui. Il y avait déjà Louis [son grand-père (1903-1991), doyen de la Comédie-Française, ndlr], Emmanuelle [sa sœur aînée, mannequin puis actrice, et épouse du cinéaste Roman Polanski, ndlr]… Bien sûr, on a mis du temps à dire Mathilde : ils nous confondaient – et aujourd’hui encore un peu… Mais je n’ai pas eu trop de mal, non. C’était un nom déjà respecté, aimé ; certains sont plus lourds à porter – Seigner, ce n’était pas un poids. Mon grand-père était avant tout un homme de théâtre [Louis Seigner y a joué plus de 200 rôles, mais il a cependant tourné dans plus de 150 films, ndlr], mais pas une énorme star : ce n’était pas [Jean] Gabin ! Et puis c’est un milieu où il faut toujours faire ses preuves, quel que soit votre nom. Néanmoins, je ne fonctionne pas comme ça : je pense faire ma route sans me poser la question de savoir si on va m’aimer ou pas, sans avoir le dessein de me faire un prénom, d’être « mieux » que ma sœur. J’avance avec mon idée à moi, et surtout pas en fonction des autres : ce n’est pas une compétition ! Le talent des autres ne m’en enlève pas à moi. Je n’ai pas de jalousie d’actrice, bien au contraire !
Entre théâtre et cinéma, faites-vous facilement le choix ?
Non. J’aime les deux. Ma préférence irait tout de même au cinéma, parce que je suis quelqu’un de feignant ! Je me lasse vite des choses, en général : un tournage va durer deux mois, tandis qu’une tournée théâtrale va s’éterniser… Et au théâtre, on ne coupe pas ! Là, par exemple, je viens de faire cent quatre-vingts mêmes représentations de …Rita, et je reprends la pièce après six mois de coupure – pendant lesquels j’ai tourné Tristan, un polar inattendu et intelligent de Philippe Harel : j’y incarne un commissaire de police. Par contre, dans l’une ou l’autre de ces activités, c’est le choix des personnages qui est dur à faire ! Alors je choisis à l’instinct, gardant en tête la volonté d’incarner un personnage original, que je n’aurais pas déjà interprété… J’ai cette chance d’être appelée pour des rôles atypiques, incroyables.
Et vous a-t-on déjà fait quelques nouvelles propositions ?
Oui, plein – trop ! Dans un futur proche, je vais enfin jouer aux côtés de Gérard Lanvin, que j’adore [probablement dans Mariages !, de Valérie Guignabodet, ndlr] ; et dans le nouveau film de Yamina Benguigui, à qui l’on doit déjà Inch’Allah dimanche (2001). En prévision, aussi, un long métrage de Patricia Mazuy, la réalisatrice de Saint-Cyr (2000), dans lequel je jouerai une libanaise, maronite – en fait, j’incarne la femme de l’otage Michel Seurat, mort en 1986. En tout, je crois que j’ai cinq projets de films – dont un autre, encore, dont je ne vous ai pas parlé, de Daniel Vigne, le réalisateur du Retour de Martin Guerre (1982) ! – et un autre de théâtre à caser dans un planning de cinq ans…
*Le comédien Bernard Fresson est décédé peu de temps après cet entretien.
L’ÉDUCATION DE RITA, DE WILLY RUSSELL, ADAPTÉE ET MISE EN SCÈNE PAR MICHEL FAGADAU (2001)
Mickaël Pagano, 2002
© PHOTOS : DR, NATHALIE MAZÉAS, PASCALITO / GETTY IMAGES