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Party Time

PHŒNIX « United »

Difficile de définir la musique de Phœnix… Les membres du groupe en sont eux-mêmes incapables et préfèrent être reconnus comme des « enfants des années 80 » avant tout.
Dans une interview avec leur bassiste Deck d’Arcy, le défi est donc de percer le mystère de leur premier album, United, né à Versailles il y a tout juste un an.
Chronique d’un succès annoncé par le titre prophétique If I Ever Feel Better.

Discotexte : On fête le premier anniversaire de la sortie de United. Heureux du succès qu’il remporte ?

Deck d’Arcy  : Grave ! Mais on a complètement zappé : déjà un an ? En fait, pour l’histoire, il y a eu un gros buzz avant la sortie de l’album : du coup, sans même l’avoir écouté, les journalistes ont parfois donné une fausse image de Phœnix. Heureusement, la presse anglaise nous a été favorable dès qu’elle a connu United. Après, tu sais : on a enchaîné les concerts, le clip [If I Ever Feel Better, réalisé par Alex & Martin (Alexandre Courtès et Martin Fougerol), ndlr], et là, un max de festivals jusqu’à fin août.

Peut-on revenir sur l’avant Phœnix ?

Ça commence au collège, à Hoche, à Versailles, début 1990. Thomas [Mars Jr., chanteur, ndlr], Christian [Mazzalai, guitariste, ndlr] et moi, on faisait du punk dans un garage. Et en 1996, « Branco » [Laurent Brancowitz, frère de Christian et second guitariste du groupe, ndlr] nous a rejoints après avoir joué avec Darlin’ [un groupe qu’il formait avec Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, le futur duo de Daft Punk, ndlr]. Il est passé un soir, pendant une répète : il a pris sa gratte et commencé à bœuffer avec nous. La répète suivante, il était là aussi… La question ne s’est même pas posée de savoir s’il devait intégrer le groupe : il était là, point. Et puis on est partis faire la tournée des caf’-conc’ de France avec des reprises de Prince et Hank Williams pour seul répertoire !

C’est à votre retour que vous décidez d’autoproduire votre premier single ?

Ouais. En 1997, on a pris le nom de Phœnix et créé notre propre label, Ghettoblaster, pour pouvoir sortir un disque : un 45 tours [Party Time/City Lights (Ghettoblaster, 1997), ndlr] – parce qu’on trouvait ça plus classe qu’un maxi – pressé à cinq cents exemplaires. On l’a envoyé aux radios, aux fanzines, aux maisons de prod’… Sur ce coup-là, on a imité la façon de procéder de Beck, un artiste qu’on aime bien. Et ça a marché ! À l’époque, on était inconscients mais ambitieux ! Trois mois après, le label Source nous a appelés. Je me souviens, c’est moi qui ai décroché… J’ai cru que c’était une blague, au début ; mais à l’autre bout du fil, la personne était super sérieuse et insistait pour nous rencontrer…

Et juste avant de signer le contrat, Phœnix donne le tout premier concert de sa carrière dans sa ville natale : Versailles. Quels souvenirs en gardez-vous ?

C’était marrant… En fait, c’est un des meilleurs souvenirs du groupe : à l’époque, il existait encore le charme de toute une préparation personnelle – aujourd’hui, on accumule les concerts sans la même magie… C’était notre « première fois », et devant tous les potes, en plus… C’était kiffant ! Depuis, comme grand souvenir, on a eu le Bataclan. Jouer sur la même scène que ceux qu’on venait voir quand on était plus jeunes, c’est énorme !

« Appartenir à la "French Touch", ça ne nous dérange pas. Mais ça ne nous touche pas non plus. »

Ce soir-là, Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin étaient dans la salle du Bataclan. Parce que Phœnix, rappelons-le, a d’abord été le backin’ band de Air. Qu’avez-vous retenu de cette période ?

Source nous a contactés : « Ça vous dirait de faire le live de Air, à Nulle Part Ailleurs ? » [le jour même de la sortie de leur album, le duo livre dans l’émission de Canal+ sa toute première prestation live, ndlr] On n’a pas hésité une seconde : Air, on était fans. On a rencontré JB et Nicolas, on a répété ensemble… Ça s’est tellement bien passé qu’on est partis avec eux faire les promo’ radio et télé de leur album Moon Safari (Source / Virgin, 1998) à l’étranger. Le truc, c’est qu’on a connu l’envers du décor avant de goûter à notre propre succès. Et vivre des moments « chanmé » : serrer la main de Lenny Kravitz lors d’un gala ; ou jouer une version presque trash de Kelly Watch the Stars pour les Victoires de la musique, en costard et avec une fausse moustache, devant un Jack Lang [alors ancien ministre de la Culture, ndlr] complètement médusé !

Comme Air, de Versailles aussi, vous appartenez malgré vous au phénomène « French Touch ». Ça vous déplaît ?

La « French Touch », qu’est-ce que c’est ? Au départ, l’appellation était réservée à la musique dite électronique : et on mettait Air et Daft Punk dans le même sac, alors qu’ils n’ont rien à voir ensemble. Maintenant, les journalistes regroupent tous les groupes parisiens, versaillais, qui ont percé en même temps – c’est encore plus simple ! Alors, appartenir à cette mouvance, disons que ça ne nous dérange pas. Mais, très honnêtement, ça ne nous touche pas non plus.

« La ligne directrice de United, c’est précisément de ne pas avoir d’étiquette. Notre façon de travailler, c’est de piquer des éléments intéressants et de les associer au contexte radicalement opposé d’un morceau : on veut sortir de l’exercice de style, et créer l’originalité grâce à une bidouille réfléchie. »

Êtes-vous mieux reconnus par vos pairs ?

Je sais que pas mal de groupes anglais, pas ou trop peu connus en France, adorent ce qu’on fait. Sinon… Une fois, on a écrit une lettre à Nash Kato [Nathan Katruudle de son vrai nom, chanteur du groupe de rock alternatif américain Urge Overkill, notamment connu pour sa reprise de Neil Diamond, Girl, You’ll Be a Woman Soon, figurant sur la bande originale du film Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino, ndlr], qu’on admire beaucoup, pour lui demander s’il voulait bien reprendre On Fire. Il nous a répondu qu’il avait adoré le morceau, et il nous a fait un remix terrible ! Aujourd’hui encore, il joue cette version acoustique lors de ses concerts !

Les versions live de vos morceaux sont extrêmement différentes des versions studio. S’agit-il d’une envie voire d’une revendication du groupe afin de ne jamais être catalogué ?

En fait, les morceaux de l’album sont tellement chiadés qu’il serait bien difficile de les rejouer tels quels sur scène ! C’est même impossible ! Mais si les versions sont si différentes, c’est avant tout pour surprendre le public, en lui montrant notamment qu’on a bossé pour lui, et rien que pour lui. Au Bataclan, le plaisir était à la fois dans la salle et sur scène : ce soir-là, il y avait une putain de vibe entre le public et nous, mais aussi entre les musiciens… C’était géant !

La presse vous colle l’étiquette rock FM ou vous classe au vaste rayon pop. Pourtant United emprunte à tous les styles musicaux. Est-il possible de définir le son de Phœnix ?

Pas vraiment. La ligne directrice de l’album, c’est précisément de ne pas avoir d’étiquette. Source aurait aimé qu’il soit house, suite à Heatwave [leur premier single sur ce label tendance disco organique, ndlr]. Forcément, on a fait radicalement l’inverse. Mais ça leur a plu – ils sont super éclectiques ! Notre façon de travailler, c’est de piquer des éléments intéressants et de les associer au contexte radicalement opposé d’un morceau : on veut sortir de l’exercice de style, et créer l’originalité grâce à une bidouille réfléchie. Pour United, on avait des maquettes hyper abouties sur lesquelles on avait travaillé pendant six mois ! En arrivant au studio, on a juste eu à les réenregistrer… On a dû créer seulement 20% de l’album en studio : parce qu’on avait une vision globale de tous les titres avant même de les mixer. Mais bon, la prochaine fois, on essaiera peut-être de se prendre plus la tête en studio, et moins sur les maquettes… Enfin, il n’y a rien de moins sûr : on est quatre perfectionnistes !

Prépareriez-vous déjà ce prochain album ?

On va se poser en septembre – on n’a pas de tournées, juste quelques dates ponctuelles – et en profiter pour travailler quelques nouvelles compos en répète… Le prochain album, je dirais que c’est pas avant 2003. Mais j’en sais rien : c’est juste que ça me semble correct. D’ici là, on sortira des singles : d’ailleurs, Too Young est déjà programmé pour la rentrée…

UNITED, DE PHOENIX (SOURCE / VIRGIN, 2000)

Mickaël Pagano, 2001

© PHOTOS : FÉLIX LARHER, NICOLAS TOUTAIN